J'ai déjà eu l'occasion ici de revenir sur le projet Google. Je n'ai pas encore lu le livre de Jeanneney, mais j'ai mis la main sur un ancien article de la revue Débat. Christian Vanderdope, professeur à l'université d'Ottawa et spécialiste des mutations de la lecture sur format numérique, livrait en 2001 quelques réflexions sur la bibliothèque universelle. S'inspirant des travaux de Jeremy Rifkin, il constatait que dans la nouvelle économie, l'enjeu n'était plus la production des biens mais la vente des droits d'accès et de participation. Surprise, en 2001, Vanderdope craignait surtout une privatisation du savoir par l'un de ces grands groupes de contenus-contenants, dont Vivendi était encore l'étourdissant symbole...
Plus loin, revenant sur la confusion croissante entre les logiques de droits d'auteur et de brevet, Vanderdope avait cet exemple délicieux:
"L'infamie attachée au vol est donc lancée sur toute personne qui jouirait librement des œuvres culturelles. Voilà qui n'est pas sans rappeler le cas du Miserere d'Allegri, dont le pape Urbain VIII et ses successeurs avaient interdit la copie et réservé l'exécution à la seule enceinte de la chapelle Sixtine. Il aura fallu la mémoire prodigieuse de Mozart enfant, admis à l'écouter, pour que cette pièce puisse enfin passer dans le domaine public. Il est probable que, aujourd'hui, avec les nouvelles lois protégeant la propriété intellectuelle, un tel exploit vaudrait au jeune prodige d'être arrêté pour « copie illicite » et « diffusion sans autorisation d'une œuvre protégée ». Là encore, les papes invoqueraient sans doute leur droit de « protéger un investissement », vu que le compositeur avait été engagé sous contrat."
Quatre ans plus tard, cette privatisation du savoir est aujourd'hui écartée par Google. Si l'on se place du côté du consommateur, le modèle proposé par Google offre la gratuité d'accès aux contenus. Pour parler en bon économiste, leur service répond à la fois aux critères de non-exclusion (une fois payée la connexion internet, soit...mais je paye aussi mes abonnements bibliothèque) et de non-rivalité. Il a, surtout, le mérite d'exister. Wladimir Mercouroff (professeur, secrétaire de la fondation de l'Ecole normale supérieure) et Dominique Pignon (directeur de recherche au CNRS, laboratoire de physique théorique de l'Ecole normale supérieure) s'y sont récemment ralliés. Mais, et ça devient une facheuse habitude, on continue de nous promettre que la France fera bien mieux toute seule.
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